Sébastien Gricourt
- Posted by Communication
- Categories Interviews
- Date décembre 9, 2024
Pouvez-vous vous présenter?
Je m’appelle Sébastien Gricourt et je travaille depuis 2021 pour Expertise France auprès du Vice Premier-Ministre en charge du dossier de l’intégration européenne, du développement et du dialogue avec la Serbie qui sont des sujets qui intéressent la France. Je travaille également avec le Premier-Ministre sur certains dossiers, et avec le Vice-Ministre de l’Intérieur sur la réforme de l’administration publique. Pour faire simple, je suis un lien entre la France et le Kosovo.
Mon parcours se résume par une découverte pendant l‘été 1990 à l’âge de 20 ans de la région de la Yougoslavie – en particulier du Kosovo – et de la Roumanie. J’ai alors pris la décision d’étudier la langue albanaise à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Ensuite, j’ai été recruté par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) en tant qu’interprète au Kosovo, de 1997 à 2002. J’y ai couvert la guerre du Kosovo et tous ses impacts humanitaires dans la région, le conflit de la Vallée de Presheva/Preševo et celui de la Macédoine. Le Ministère de la Défense – délégation aux affaires stratégiques – m’a ensuite recruté en tant que chargé de mission pour couvrir l’Albanie, le Kosovo et la Macédoine de 2003 à 2004, et il me fut ainsi donné l’occasion de travailler dans une démarche de prospective sur l’avenir de la région.
Par la suite, en 2004, j’ai travaillé en tant qu’observateur de long terme pour les élections en Macédoine, puis de nouveau pour le CICR au nord du Kosovo, et enfin en tant que conseiller politique à la KFOR française, avant d’intégrer au début de l’année 2005 le bureau du Premier ministre en tant qu’officier de liaison pour le compte du bureau du chef de la MINUK. Ainsi, au moment de la déclaration d’indépendance du Kosovo, j’étais dans le bureau du Premier Ministre et plus précisément avec le secrétaire général de ce dernier.
Après être retourné pendant l’année 2009 à la KFOR, cette fois comme vice-conseiller politique auprès de son état-major, le Ministère de la Défense m’a proposé une mission pour l’OTAN d’un an à Kaboul. Je suis ensuite retourné m’installer en France : pendant 10 ans, j’ai travaillé au siège du Parti Socialiste – sur les questions internationales, européennes et de défense – tout en étant réserviste pour le Ministère de la Défense.
Quel a été votre premier lien avec le Kosovo?
Je fais partie de la génération qui a été marquée au lycée par la chute du mur de Berlin: l’Europe de l’Est était pour nous une découverte. À cette époque, seule l’Albanie était fermée dans cette région: avec un ami, on a commencé à se renseigner sur le pays, il nous a intrigué. On a regardé une carte, on était jeunes, et nous partîmes à trois par le train. En juillet 1990, nous sommes donc arrivés au Kosovo avec l’idée d’entrer en Albanie.
Nous avons en fait découvert le Kosovo par une arrivée à l’heure du couvre-feu, dans un régime d’Apartheid qui avait déjà commencé à s’installer. En tant que militant d’Amnesty International, je connaissais des situations à travers le monde mais pas celle de la Yougoslavie, qui se révéla à moi comme une grande prison politique avec une majorité d’Albanais à l’intérieur. En découvrant cette situation, cela m’a marqué et m’a décidé à apprendre la langue albanaise au nom d’un intérêt porté sur les droits humains fondamentaux.
Et puis en 1991, la dictature en Albanie est tombée et, à l’été 1992, j’y ai fait mon premier séjour. J’ai pris mes marques et je me suis installé dès l’automne dans une famille en Albanie, je dormais dans le salon et me souviens avoir mangé beaucoup de bureks et de fayots, il n’y avait pas grand-chose dans cette époque de transition chaotique.
Pour quelles raisons avez-vous décidé de revenir au Kosovo en 2021?
Mon engagement pour les Balkans se poursuit aujourd’hui par le projet d’intégration européenne. Pour moi, c’est un sujet important d’abord parce que c’est une priorité nationale que le Président de la République française a choisi de réinvestir, d’où la création de mon poste et d’autres dans la région. L’intégration européenne me semble être la seule solution à la stabilisation de la région: s’il n’y a pas cet agenda, je crains la nature des autres agendas qui peuvent (ré-)émerger.
Ma volonté de revenir, je la dois aussi au vent de changement en cours, qui vient avec la classe politique aujourd’hui au pouvoir. Je pense que la région a un problème avec la gestion du passé : je veux faire confiance à la nouvelle génération qui n’a pas connu cette période-là, et qui regarde la région différemment sans ressentiments ou préjugés.
J’ai aussi envie de contribuer à plus de connaissances de l’opinion publique française sur la région. En 2018, j’ai créé l’Observatoire Balkans à la Fondation Jean Jaurès et j’ai pu établir un certain nombre de liens: c’est une façon de démocratiser le débat sur les Balkans et de rassurer les gens sur l’intégration de cette région. Ce partage de connaissance est crucial car, à l’heure actuelle, c’est l’extrême-droite qui parle le plus de la région en partageant des réseaux de désinformation. Mon combat, c’est aussi de lutter contre cette désinformation pour changer la perception des gens et rapprocher les peuples européens.
Avez-vous une anecdote à nous partager?
J’ai décidé d’apprendre la langue albanaise à l’été 1990: lorsque nous avons été expulsés du Kosovo, la police nous avait mis dans un bus pour quitter le pays. Mais nous sommes descendus en cours de trajet bien avant Prizren, et avons planté nos tentes au bord du Drin. Nous n’avions pas grand chose à manger mais ce n’était pas grave, mais nous avions besoin d’eau. Il y avait une petite maison sur une colline donc je suis allé en chercher. Je toque à la porte et un homme sort, l’air taciturne, le plis sur la tête, la moustache qui en impose: plutôt typique de l’image traditionnelle de l’Albanais. Il me remplit la bouteille d’eau et je lui dis ‘Faleminderit’, un des rare mots que j’avais appris pendant ces trois jours: le type a eu un grand sourire, ça l’a rendu heureux. C’est un peu ça qui m’a décidé à apprendre l’albanais: je sentais que cette langue allait me faire revenir ici, m’ouvrir la route que l’on m’interdisait et accompagner le sort de ce peuple.